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Fabrication d’encre metallo-gallique…
Les recettes d’encres carbonées :
Il s’agit d’encres comportant du noir de fumée (ou tout autre élément carboné) et un liant (huile, gomme ou colle de poisson). Le Romain Vitruve (1er siècle av. JC) donne, dans son ouvrage De Architectura, une recette d’encre noire à base de noir de fumée, obtenu dans des fours spécifiques où l’on faisait brûler de la poix, des sarments de vigne ou des copeaux de pin. Pline, dans son Historia Naturalis (1er siècle après JC) mentionne également une encre préparée à partir de noir de fumée et de gomme, que l’on laisse sécher au soleil et que l’on peut réhydrater lors de son utilisation. Au début de XIe siècle, à Kairouan, le savant et mécène Ibn Badis présente de nombreuses recettes d’encres dans son ouvrage Umdat al-kuttâb. Celles-ce sont nommées encres de Chine, d’Inde, de Koufa, de Perse ou d’Irak, en fonction de la matière première sélectionnée pour confectionner la suie. La recette traditionnelle de l’encre de Chine solide, bien qu’elle soit tenue secrète, est à rapprocher de ces encres carbonées.
Les recettes d’encres aux tannins :
C’est à cette catégorie d’encre que nous nous sommes plus spécifiquement intéressés. Elle regroupe les encres réalisées à partir d’un produit tannant (noix de galles, écorce de chêne, végétaux divers), d’un sel métallique et d’un liant, d’où son nom d’encre metallo-gallique.
En fait, il faut attendre le XIIe siècle, avec l’apparition de l’ouvrage De diversis artibus, du moine Théophile, pour trouver la première recette d’encre à base de tanin et de sulfate de fer. Il s’agissait d’une décoction d’écorce de bois d’épine dans de l’eau ( traduction consultable ici) . En Occident, dès le XIIIe siècle, presque toutes les recettes décrivent des encres métallo-galliques, comme Albert le Grand dans le De mineralibus (XIIIe siècle) ou Jehan Alcherius qui dévoila en 1398 une partie de ses recettes d’encre à Jehan le Bègue, mécène et futur greffier des maîtres généraux de la Monnaie du roi.
Les ingrédients de l’encre métallo-gallique :
Les encres métallo-galliques sont une combinaison de sels métalliques, de tanins végétaux, d’un liant et d’adjuvants divers. Les substances tannantes séchées et très finement concassées sont dispersées dans de l’eau pure. On laisse macérer la décoction ainsi obtenue pendant quelques heures, à chaud ou à froid, puis on ajoute une solution diluée de sel métallique. Il se forme un complexe métallo-gallique coloré en brun qui précipite. Au contact de l’oxygène de l’air, cette coloration s’intensifie progressivement jusqu’à devenir noir foncée. C’est cette méthode que nous avons appliquée pour fabriquer notre encre, suivant ces proportions :
- Les noix de galles:
Les noix de galles, qui constituent l’un des principaux apports de tannins, sont des excroissances tumorales produites sur les tiges, feuilles ou fruits de certains végétaux, suite à des piqûres d'animaux parasites. Un œuf va alors se développer et, sous l’afflux de la sève, un bourrelet va se former. Lors de l’éclosion, les insectes s’en échappent en perforant l’excroissance. Pour la confection de l’encre, ce sont les noix de galles intactes qui sont les plus intéressantes, car elles sont plus riches en acide tannique.
- Le sulfate de fer:
Ce sel métallique peut également se retrouver sous la dénomination « vitriol ». Il ne s’agit pas ici d’acide sulfurique, mais du nom donné alors à divers sels métalliques, qui ont aujourd'hui le nom chimique de sulfates. On trouve par exemple du vitriol vert qui correspond à du sulfate de fer et du vitriol bleu, qui lui est à base de cuivre. Le nom vitriol proviendrait du latin « vitreolus » qui signifierait « qui rend vitreux », et, en y regardant de plus près il est vrai que le sulfate de fer ressemble beaucoup à du verre pilé !
- La gomme arabique:
Enfin, la gomme arabique (extraite par exsudation des acacias, pruniers, cerisiers ou autres lierres) favorise la prolifération des moisissures, ce qui permet d’augmenter la viscosité du mélange et de maintenir le précipité de tannate de fer formé par l’adjonction de sels métalliques aux tannins.
Fabrication de l’encre :
Il faut tout d’abord broyer les noix de galles au mortier afin de les réduire en poudre et laisser cette poudre macérer dans un demi-litre d’eau pure (eau de pluie ou eau déminéralisée) pendant une semaine environ.
Avec une étamine la plus fine possible, filtrer le mélange et le placer dans un poêlon. Faire bouillir le filtrat et laisser-le réduire jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un quart du volume original. Pendant ce temps, dissoudre le sulfate de fer dans un peu d’eau. Ajouter ce mélange dans le poêlon ainsi que la gomme arabique réduite en poudre : un précipité noir se forme. Remuer le mélange, l’encre est prête ! Bien entendu, à chacun de jouer sur ses proportions pour trouver l’encre qui lui correspond.
Bibliographie :
- Monique Zerdoun Bat-Yehouda, Les encres noires au Moyen Age, jusqu'à 1600 .
- Monique Zerdoun Bat-Yehouda , « La fabrication des encres noires » d’après les textes dans Codicologica 5 – Les matériaux du livre manuscrit , p. 52 à 59.
- Moine Théophile, Traité des divers arts.
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Commentaires
1marijoMardi 23 Février 2010 à 22:13Superbe article Mathilde. Moi qui me suis toujoursinterréssé aux divers papiers et aux plumes (oiseaux et fer) pour écrire (grande collectin) je suis content que tu apportes a mon savoir l'élément qui me manquait, l' Encre. Merci beaucoup. Bonne nuit.RépondreCoucou Marijo,
Je suis contente si tu as trouvé ton bonheur avec cette recette d'encre, qui est simple à faire et très agréable à utiliser. Par contre attention à ne pas l'utiliser avec des plumes métalliques car le sulfate de fer en rongerait le métal.
En tout cas merci pour le bon bol d'air dont on profite en venant sur ton blog, ça fait vraiment du bien lorsqu'on est en appartement et que l'on rêve d'un petit bout de terre.
AmicalementJe ne peux hélas vous répondre car je ne connais absolument pas le harkous mais le sulfate de fer contenu dans cette encre peut être très agressif pour la peau: certains manuscrits nous parviennent totalement rongés par l'encre à cause de cet ingrédient, donc l'usage de cette recette n'est pas adaptée au tatouage.
4SevMercredi 24 Juillet 2013 à 15:56Coucou Mathilde!
Cet article est très intéressant et me ferait presque aimer la chimie. Si seulement on m'avait expliqué les choses aussi clairement au lycée!!!
Ça donne en tout cas envie d'essayer, je vais peut être me laisser tenter et transformer ma kitchenette en atelier du petit alchimiste!!!5wahibaMercredi 24 Juillet 2013 à 15:56ARTICLE TRES INTERESSant!au fait je cherchais la recette du harkous tunisien et je tombe sur votre site!d apres mes recherches le harkous est fabrique avec les mm ingrediants que cet ancre galliquemais le dosage j ai pas trouve!donc je me demandais si cet ancre galique peut etre utiliser sur la peau pour tatouage ?
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